Vision d'avenir : Le vrai pouvoir de l’intercollaboration
À titre de président des alliances internationales au sein de Sid Lee, Alex Pasini s’est vu présenter un défi unique : comment tirer parti de la puissance d’un collectif pour trouver de nouvelles solutions à des enjeux mondiaux ?
Il y a quatre ans, Sid Lee a joint le collectif kyu, un groupe d’entreprises de création ayant comme objectif de bâtir des marchés, des environnements, des mouvements et des marques capables de propulser l’économie et la société vers l’avant. Tout à coup, il a donc fallu collaborer avec des entreprises spécialisées en science des données, en économie comportementale, en commandites sportives et en expériences créatives immersives — des créneaux beaucoup plus pointus que celui du marketing et des communications qui se trouve au cœur de ce que fait Sid Lee. De son bureau à Tokyo, Alex parle des clés d’une intercollaboration réussie et des façons dont la mondialisation et la numérisation favoriseront et freineront la collaboration entre les entreprises dans l’avenir.
Maintenant que de plus en plus d’entreprises ont pris part à la mondialisation et adopté les technologies numériques, le mot « collaboration » a pris un tout autre sens. Nous travaillons désormais aisément par-delà les frontières, de mille et une façons, que ce soit avec d’autres organisations ou d’autres nations, et cette tendance est destinée à s’accentuer, car l’évolution de la technologie continue de s’accélérer et la mondialisation continue de prendre de l’importance. Ce que ça signifie, c’est qu’à l’avenir, « l’intercollaboration » deviendra la norme. Faire de l’intercollaboration, c’est inviter quelqu’un d’autre dans son espace de travail, que ce soit une tierce partie, ou même un quatrième ou un cinquième joueur. C’est presque comme ouvrir la porte et inviter quelqu’un d’autre à se joindre à la fête. Ça change la dynamique, ça crée une tension féconde et ça décuple le pouvoir de la collaboration, en donnant lieu à une situation où le tout est plus grand que la somme de ses parties. Si dans « collaboration » il y a la notion de travailler avec d’autres, dans « intercollaboration », il y a la notion de travailler entre disciplines — ce qui deviendra de plus en plus essentiel à mesure que grandiront les aspirations des organisations. Il se peut que vous soyez réticent au début. C’est normal. Mais le changement est inexorable et s’observe tous les jours sous différentes formes. Il suffit de penser à l’Europe, un continent fragmenté et stratifié, qui accomplit beaucoup plus dans le contexte équitable qu’offre l’Union européenne. La mondialisation entraîne la dissolution des séparations, et l’on est forcé d’envisager une collaboration à plus grande échelle.
Le domaine du compromis
Si vous travaillez dans les services créatifs, vous savez que vous êtes dans le domaine du compromis. Il existe une tension unique dans le milieu de la création, propre à l’échange d’idées qui se fait entre les clients et les collaborateurs et grâce auquel on réussit à faire un travail exceptionnel. La beauté de la créativité réside dans cet échange. On doit savoir se montrer souple, sans toutefois se laisser tordre. Lorsqu’on invite un troisième élément dans un groupe, que ce soit un pays, une organisation ou une personne, la qualité des résultats peut s’accroître exponentiellement, tout particulièrement si cet ajout signifie qu’on récolte ainsi des compétences plus vastes et des niveaux d’expertise plus élevés. Bien sûr, si c’est mal fait, les conséquences peuvent aussi être désastreuses et très, très pénibles.
Dans l’avenir, quels seront les obstacles à la collaboration entre nations et organisations ? Selon moi, un certain nombre de choses freineront, et d’autres favoriseront, l’intercollaboration En premier lieu, la collaboration sera plus simple — et aura davantage de chances de succès — si vous êtes ouvert à la possibilité de travailler avec de plus en plus de gens et d’idées. En deuxième lieu, vous devez pouvoir compter sur une fondation solide : la confiance entre les différentes partenaires. La confiance se bâtit entre des personnes, pas entre des entreprises. Lorsque nous nous sommes joints à kyu il y a quatre ans, nous savions que nous aurions à travailler avec d’autres entreprises, que chacune apportait des compétences et des connaissances différentes au groupe. Mais ce dont j’ai rapidement pris conscience à ce moment, c’est que c’était le fait de rencontrer les gens et de tisser des liens avec eux qui constituait la clé de notre réussite. Il est plus facile de bâtir cette fondation avant de partir au front ensemble. Il arrive qu’un problème à court terme qui doit être résolu dans l’urgence s’avère un excellent catalyseur pour la création de liens de confiance. Mais c’est risqué : cette situation peut aussi entraîner l’effet opposé. Il faut développer une culture basée sur l’honnêteté, la transparence et la place à l’erreur, ce qui prend du temps.
La magie opère sous un même toit
Nous sommes vraiment chanceux de vivre dans un monde où la technologie nous permet de communiquer aisément par-delà les frontières. Cependant, la notion d’humanité est cruciale. On ne doit jamais sous-estimer l’importance de la chimie, des conversations en personne. D’après mon expérience, les séances de brainstorm ayant lieu à distance devant des écrans sont une perte de temps — chacun tente de parler plus fort que l’autre et il est impossible de lire le langage corporel correctement. La magie opère quand on est tous sous le même toit, et ça continuera d’être vrai, peu importe le nombre de joueurs impliqués.
Une chose à laquelle je réfléchis beaucoup est la meilleure structure pour favoriser la réussite de ces intercollaborations. Le processus créatif s’avère parfois très exigeant et, en toute honnêteté, je dois dire que plus il y a de gens impliqués, plus le processus est exigeant. Il est donc essentiel d’avoir une structure capable de soutenir ce processus. Quand je pense à la culture que je souhaite insuffler en tant que leader, je pense au TED Talk donné par James Tamm, ancien juge et auteur de Radical Collaboration. Dans son livre, il déclare que la meilleure chose qu’on puisse faire pour favoriser la collaboration est de gérer ses propres réflexes défensifs. La plupart du temps, ces réflexes découlent de craintes liées à notre valeur, à nos compétences ou à notre popularité. Et quand les membres d’une équipe se mettent sur la défensive, leur mode de pensée se fait plus rigide, leur QI chute d’une vingtaine de points et ils deviennent moins aptes à résoudre les problèmes efficacement.
Avoir un seul pointage
De mon point de vue, la réussite de ces intercollaborations dépendra d’un seul chiffre : un. Vous avez besoin d’une équipe, d’un nom et d’un pointage pour que ça fonctionne. Premièrement, au moment de choisir vos collaborateurs, examinez les aptitudes et les attitudes de ces gens qui travailleront à vos côtés. Quels sont leurs superpouvoirs? À quel point sont-ils prêts à collaborer? Sont-ils dignes de confiance, patients, motivés ? Deuxièmement, assurez-vous que tous sont sur la même longueur d’onde. Assurez-vous que chacun comprend que la priorité est la réussite du projet — peu importe qui l’on représente. Troisièmement, l’idée de n’avoir qu’un seul pointage est primordiale. Tout le monde se joint à un projet pour des raisons différentes. Je crois que vous devez définir les objectifs d’un projet très tôt dans le processus, puis souligner tant les victoires collectives et que les victoires individuelles, ce qui favorisera la réussite alors que ces collaborations se feront de plus en plus complexes. Chacun aura ainsi le sentiment de contribuer et d’avoir sa part dans le travail effectué, ce qui demeurera la priorité, peu importe la façon dont évolue le projet sur lequel vous travaillez. Au cours de la dernière année, nous avons mis en œuvre chez Sid Lee différentes mesures, comme des évaluations de rendement qui tiennent compte non seulement des résultats d’un bureau, mais aussi des résultats de chaque bureau au-delà des frontières de l’entreprise. Et nous cherchons constamment de nouvelles façons de favoriser l’intercollaboration.
Quand Sid Lee s’est joint à kyu, notre objectif était de bâtir un réseau mondial progressiste. Nous nous efforçons encore aujourd’hui de trouver la meilleure façon de créer des liens. C’est un projet qui demeure toujours en version bêta. Mais si une chose est sûre, c’est qu’aussi loin qu’on se transporte dans l’avenir : nous créons ensemble, en exploitant nos talents individuels. Jamais l’un sans l’autre.