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L’expression en temps de division : Le point de vue de deux artistes

Lorsque Jules Muck peint, elle semble parfaitement zen; elle est concentrée, sereine et déterminée. Cette artiste qui est connue dans les rues de Los Angeles à Londres, en passant par New York, sous le nom de Muck Rock, commence par tracer un contour un peu approximatif, ce qui ne laisse pas transparaître son expertise. Ensuite, elle esquisse la chevelure et ce qui ressemble à des oreilles. La mâchoire se forme, puis les lunettes apparaissent et révèlent l’identité du sujet. C’est Ruth Bader Ginsburg qui regarde droit devant elle. À mesure que l’artiste ajoute des détails au portrait, cet emblème de la justice paraît jeune, fort et plein de vie.

L’approche de Monica Ahanonu pour créer le portrait de la juge est très différente. Cette artiste prisée par ses clients, notamment McDonald’s, Adidas et le magazine Time, commence par les formes, esquissant d’abord la silhouette, puis ajoutant couche sur couche pour apporter de la profondeur au visage et aux vêtements. Elle joue ensuite avec les couleurs, recréant son amalgame signature de traits réalistes et de blocs de couleurs et de motifs vibrants. Résultat : un autre magnifique hommage à cette juge tant appréciée qui se trouve au cœur de l’élection présidentielle américaine de 2020.

La volonté de pourvoir rapidement le poste à la cour de la juge Ginsburg est un des enjeux polarisants qui découle de l’une des élections américaines les plus controversées. Des artistes de tous les milieux ont pris position dans les rues, sur Instagram et sur d’autres plateformes. Nous avons rencontré la graffiteuse, Jules Muck, et l’illustratrice, Monica Ahanonu, pour connaître leurs impressions sur le monde de l’art dans le contexte politique actuel.

Jules a commencé à s’exprimer sur des façades un peu partout dans le monde à la fin des années 1990. Ses sujets proviennent principalement de la culture populaire, mais la source de son inspiration est beaucoup plus vaste. « J’aime la collaboration. Je m’inspire généralement des gens autour de l’endroit où je me trouve. Qu’il s’agisse d’un contrat ou d’une collaboration, le résultat est habituellement un travail d’équipe. » Pour elle, il est impossible d’ignorer ce qui se passe dans la sphère politique. « Lorsque j’étais plus jeune, j’étais beaucoup plus impliquée », explique-t-elle. Auparavant, elle couvrait les affiches des partis qu’elle condamnait, mais son approche a changé avec le temps.

Selon Jules, être une artiste publique est un geste politique en soi. Et ce geste a souvent plus de poids que le sujet de ses œuvres. « L’élite ne peut pas s’approprier l’art public. C’est pour tout le monde. Ce que je peins a peu d’importance. Si je peins des fleurs, elles n’en demeurent pas moins des œuvres politiques. Si j’offre mon art aux gens, si je le fais par altruisme, alors je contribue à changer les choses. »

Elle trouve que son travail la rend plus forte et plus indépendante : « Être une femme qui n’a pas peur d’être vue et entendue et de prendre de la place est aussi un geste politique significatif. Je peux me rendre à n’importe quel endroit, sortir de ma voiture, prendre mon échelle et ma peinture et afficher moi-même mon art sur une toile publique. »

En tant qu’illustratrice, Monica Ahanonu a une perspective bien différente sur son art et sa place dans la sphère politique. Son parcours est plus bref que celui de Jules, mais il lui a tout de même permis de compiler un nombre impressionnant de clients depuis l’obtention de son diplôme à l’école des arts cinématiques de l’Université de Californie du Sud en 2013. Monica décrit ses œuvres comme énergétiques et c’est la mode qui influence le plus son art. « Je m’inspire beaucoup de la mode, des défilés, des différents personnages qui sont créés et envoyés sur la passerelle, des différentes silhouettes, des diverses combinaisons de vêtements et du mélange des motifs de toutes sortes. »

Monica s’inspire aussi des rues de L.A. et des gens qu’elle observe. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que la politique ait fait son chemin dans son art. « Je m’exprime davantage sur les choses qui se passent. Je réalise que bien des gens autour de moi ne sont pas aussi au courant des enjeux entourant certains mouvements, dont Black Lives Matter. » Alors, elle utilise sa puissante plateforme pour informer les gens. Elle a récemment fait un portrait de Biden et de Harris et encourage ses fans à voter.

Comme artiste publique, il arrive à Jules de corriger des images qui ont été altérées ou vandalisées. « Au point où l’on en est, je crois que c’est un acte de violence de rayer un “Black Lives Matter”. Je pense que c’est dénigrant et blessant; c’est comme une agression. C’est une attaque de dire : “All Lives Matter”. C’est une forme d’intimidation et d’oppression.

Récemment, nous sommes tombés sur une peinture de George Floyd fait par un autre artiste dans une ville de l’Indiana. On voit un tableau sur lequel il était écrit “Black Lives Matter”, mais quelqu’un est allé rayer “Black ” pour écrire “All ”. Nous nous sommes donc arrêtés et nous avons corrigé l’œuvre pour rétablir l’intention de l’artiste. »

À l’approche de l’élection présidentielle, les campagnes électorales saturent les marchés avec leurs messages, donc les artistes prennent tous les moyens nécessaires pour faire entendre leur voix au-dessus de la mêlée. D’ailleurs, ils utilisent des plateformes émergentes pour y parvenir. Monica est optimiste à propos de ces plateformes. « C’est hallucinant tout ce que les gens font sur TikTok. La plateforme est utilisée de mille façons pour créer une foule de choses variées. » C’est encourageant de voir que la liberté d’expression est bien vivante à l’ère numérique, même lors d’une année d’élection.

 

Pour voir d’autres oeuvres de ces superbes artistes, suivez-les sur leurs plateformes :

Jules Muck
Site web : www.julesmuck.com
Instagram: @muckrock

Monica Ahanonu
Site web : www.mahanonu.com
Instagram : @monicaahanonu

 

Images : Deux représentations de la défunte juge Ruth Bader Ginsburg. À gauche : Jules Muck et DVNNY. À droite : Monica Ahanonu, l’image est tirée de son livre ICONS.