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Jeter des fleurs à Sasha Velour

Sasha Velour - Art, Expression and Transgression

Dernièrement, nous avons eu le grand plaisir de rencontrer une artiste qui n’a pas besoin de présentation : la célèbre Sasha Velour.

Durant cette conférence Zoom d’une heure, nos artisans ont pu entendre Sasha parler créativité, affaires et identité queer tout en poésie. Témoignant de sa créativité et de son expérience des coulisses de la drag, ses paroles ont su émouvoir et susciter la réflexion. Voici quelques moments forts de ce voyage dans l’univers magique de Sasha Velour, regroupés autour des cinq piliers de notre credo créatif.

 

Son histoire :

Sasha Velour est une drag queen genderfluid qui s’est fait connaître en remportant la neuvième saison de la série télévisée RuPaul’s Drag Race. Depuis, elle a fait son propre chemin dans le monde de la drag, en se produisant à guichets fermés partout dans le monde et en produisant ses propre spectacles, Smoke and Mirrors et NightGowns. Génie de la création, Sasha Velour passe sans effort des réflexions philosophiques aux performances extravagantes. Elle est aussi reconnue pour son sens des affaires. Récemment, Fast Company a indiqué que son travail venait « perturber l’industrie de la drag ».

 

Enfreindre la règle : rester authentique, de Drag Race à aujourd’hui 

« Pour enfreindre les règles, il faut les connaître. Si vous êtes bien informés, si vous savez ce que vous faites, vous pouvez prendre vos idées, et les porter plus loin.

Au final, Drag Race, c’est Hollywood, et Hollywood, c’est une institution. Je suis reconnaissante des leçons que j’y ai apprises, mais j’ai compris que peu importe ce qu’on présente [aux juges], il faut savoir comment l’apporter. On peut faire passer certains messages, mais il faut suivre les conventions; c'est un mélange de mode, d’humour et d’argent.

Quand il est question de ma propre création, je suis incroyablement têtue. Mais c’est une bonne chose, ça m’aide à rester fidèle à moi-même. Je ne m’inquiète pas trop de ce que les autres pourraient penser. 

J’essaie de faire en sorte que les gens de mon entourage voient la rétroaction de la même façon que moi. Est-ce que ça t’a plu? Penses-tu que c’est du bon travail? Si la réponse est oui, la réception du public sera généralement positive. »

 

Contexte : l’influence des mouvements sociaux modernes sur son travail

« Les gens viennent voir les spectacles de drag pour s'évader, mais ils y apportent aussi tout leur bagage. Et quand ils trouvent un lien entre le spectacle et le monde, quand le spectacle rejoint leurs préoccupations, c’est encore plus puissant. Je me suis tournée vers la drag en raison de mon point de vue politique : je voulais trouver une forme d’art expressive et une vie nocturne qui étaient inclusifs et qui traceraient les contours d’une communauté gaie qui encapsulerait tout le spectre de l’identité queer. 

En tant qu’artiste, je me sens vraiment interpellée par une approche inclusive qui transcende les mouvements politiques. Et en tant qu’éditrice, tout tourne autour des relations avec les autres : avec qui je collabore, comment j’organise la soirée; ça va bien au-delà de ma propre voix, qui ne s’exprime pas pour tout le monde.

En ce qui concerne les mouvements de libération et d’émancipation, je pense que parfois le milieu des beaux-arts a trop peur pour aborder directement ces problématiques ou pour envisager des façons d’utiliser l’art pour changer les choses, et non seulement pour offrir une certaine visibilité. J’aime donc que la drag ou encore la publication de zines ou bien d’autres formes d’art punk puissent faire bouger les choses, sans soutien institutionnel. L’an dernier, grâce à NightGowns, on a recueilli 20 000 $ pour des organismes locaux qui soutiennent les personnes noires trans partout au pays. »

 

Le facteur artistique : repousser les frontières de la beauté

« La beauté ne se mesure pas. On ne devrait pas lui attribuer de critères objectifs ni la confiner dans un moule. Elle réside dans la façon de voir ce qui nous entoure. C’est une attitude. Dans le cadre de mes recherches, j’ai trouvé une publicité de 1910 où Julian Eltinge, une énorme star drag du vaudeville, vendait des cosmétiques. En gros, il disait si un homme comme moi peut devenir une femme aussi délicate et féminine, vous le pouvez aussi.

D’une certaine façon, j’ai l’impression qu’on n’a pas beaucoup avancé depuis. Il y a cette idée qu’on peut fabriquer la beauté. La différence avec les drags, c'est qu’elles le font dans la joie et la liberté. L’industrie de la beauté, elle, construit sur des bases d’obligations et de peur. Ça a débordé dans le monde des drags et c’est dommage. La drag, c’est censé apporter de la joie. »

 

Façonner la culture : l’introduction de la drag au grand public 

« Je pense que les drags veulent s’intégrer à la culture populaire. On n’a jamais cessé de crier "Hé, on est là, regardez notre travail de qualité!". Malheureusement, les médias grand public n’ont pas montré une grande ouverture à l'égard des personnes queers. Je vois donc d’un bon œil l’intégration des queers dans la société, car ça fait en sorte que les jeunes acceptent qu’on puisse être trans ou de genre non binaire, et ne plus devoir souscrire à un genre binaire.

D'un autre côté, les personnes queers ont toujours alimenté les arts; des idées comme enlever sa perruque et faire tomber une pluie de pétales de roses. On est affichés sur les moodboards, mais on n’est jamais invités à participer à la création. C'est un phénomène qui se répète. 

Je pense donc qu’il y a encore du travail à faire. Les gens savent qu'on a quelque chose à offrir, mais ils ne nous prennent pas assez au sérieux pour nous inviter à travailler avec eux. Je ne dis pas ça parce que je veux être incuse. Je veux seulement qu'on comprenne que les personnes queers qui font de la création devraient être reconnues à leur juste valeur. »

 

Le résultat désiré : trouver le juste ballant entre une vision et les affaires

« Je me suis pas mal éloignée de la structure de gestion traditionnelle de la drag et de l’industrie des tournées à laquelle participent les artistes de RuPaul’s Drag Race. Ce qui me dérange beaucoup dans ces spectacles, c’est que les cachets ne sont pas équitables. Selon leur bagage et leur expérience, il y a de gros écarts entre les artistes. Je ne voulais plus contribuer à cette injustice.

Durant la dernière année, j’ai beaucoup réfléchi à ce qui était mon modèle idéal pour monter un spectacle ou travailler avec d’autres drag queens.  Pour NightGowns, [l'année passé], les artistes avec qui nous avons travaillé étaient également tous producteurs du spectacle en direct. Il y avait un taux horaire fixe que tout le monde touchait, et nous avons aussi partagé les profits. C’était la première fois que je travaillais de façon transparente, avec une feuille de calcul : tout le monde connaissait les chiffres, tout le monde savait qui gagnait combien. C’était une expérience différente qui a donné des résultats vraiment positifs. Nous avons même fait plus d’argent que jamais auparavant. C’est intéressant de constater que quand on essaie de faire les choses autrement, ça peut vraiment bien fonctionner, et même au-delà des attentes. »

Remarque : Les réponses ont été légèrement adaptées. 

Sid Presents: Sasha Velour a eu lieu le 26 août. La conférence a été présentée sur Zoom aux artisans de Sid Lee. Amber Smith et Jean-François Légaré ont animé la présentation. Merci à eux et à Sasha pour leur générosité et pour la formidable conversation.